Monsieur et Madame KRAMER se sont mariés, ont eu trois enfants, deux liaisons, une maison achetée à crédit, et quelques disputes, suffisamment graves, tout en restant assez banales, pour qu’ils décident de s’engager dans une procédure de divorce par consentement mutuel.
Ils sont d’accord sur tout, comme l’on dit, la rupture et le reste, alors ils prennent le même Avocat car la Loi le leur permet encore – ca ne va pas durer ! – et déposent conjointement une requête en divorce en indiquant que leur maison est vendue, car ayant déjà signé l’acte sous seing privé, ils savent que l’acte de vente sera passé depuis longtemps le jour où le greffe surbooké se décidera à les convoquer afin qu’ils soient entendus par le Juge qui prononcera leur divorce.
Le jour est arrivé et les presque futurs ex époux KRAMER, d’accord sur tout, poireautent dans la salle des Pas- perdus parmi un nombre assez considérable de couples plus ou moins au bord du meurtre, d’avocats blasés se racontant leur week-end, et cette odeur où se mêlent en proportion inégales selon les jours, sueur, anis, poussière, encre et javel, qui colle définitivement à l’administration de la Justice.
L’attente. Cette chose lourde et idiote qui scande de son souffle vide les journées d’audience.
Ça y est, c’est à eux.
Les époux KRAMER d’accord sur tout, qui ont fait tout bien et attendent juste leur papier pour poursuivre leur existence, comparaissent.
Quand avez vous vendu votre maison, demande la Juge. LA question à cent balles du mardi matin ! Les époux KRAMER tombent tout droit dans le piège. Quoi s’égosille la magistrate, vous avez écrit que la maison était vendue alors qu’elle ne l’était pas encore ? Quoi, l’essentiel est qu’elle soit vendue aujourd’hui ? Mensonge ! Faux en écriture ! Scandale ! Altercation avec l’Avocat, suspension d’audience pour monter chercher quelque grimoire sous les yeux hagards des autres divorcés en puissance dans les affres de l’attente déjà depuis des heures « Shit l’avocat nous a pourtant dit que ca allait être cool » Reprise d’audience en fanfare, requête irrecevable.
Entre temps une réforme intervient, tel un point d’exclamation, et voila, le divorce sans juge est né. Les époux doivent avoir chacun un Avocat différent et divorcent en signant une convention établie par ces derniers, qui sera par la suite déposée chez un Notaire.
Les époux KRAMER d’accord sur tout doivent donc avoir chacun un Avocat différent et les frais qui vont avec.
La convention est signée dans la Joie et la bonne humeur et envoyée prestement chez un Notaire pour homologation, ça fait déjà huit mois que l’usine a gaz a commencé.
Là, les choses se gâtent de plus belle.
Pensez donc, ce Divorce sans Juge, ce sont les Notaires qui auraient dû l’avoir. Ca aurait eu une sacrée gueule que les gens viennent divorcer chez leur Notaire au lieu de faire ça chez les Avocats, le Notaire étant réduit à un genre de chambre d’enregistrement ! Scandale !
Maitre Honoré GRAPAZZI, Notaire à la résidence de PAMPERIGOUSTE, comme aurait écrit le bon DAUDET, s’empresse donc de refuser d’homologuer la convention pour une erreur de date, facilement amendable. Comment ? Resigner juste une page sur les douze que comporte l’acte ? Scandale ! Déraison ! Prévarication !
Les époux KRAMER d’accord sur tout, qui ont fait tout bien et attendent juste leur papier pour poursuivre leur existence, doivent reprendre encore leur copie.
Et commencent déjà à moins rigoler.
A ce moment là, les Avocats se fâchent à mort avec le Notaire et décident d’en solliciter un autre.
On envoie rapidement la requête retoquée par l’autre, avant que les époux KRAMER d’accord sur tout commencent à moins être d’accord.
Le nouveau Notaire voudrait bien, oui, certes, mais non, il peut point, les délais sont dépassés tout ca, et on s’en contrefout que les époux KRAMER d’accord sur tout, qui ont fait tout bien et attendent juste leur papier pour poursuivre leur existence, doivent reprendre une troisième fois leur copie.
Bon, on garde le même Notaire et on recommence tout au début, ça fait déjà plus d’un an que les deux Avocats, leur secrétariat, collaborateurs, stagiaires et toutim regardent ce dossier avec des yeux agrandis de frayeur en se demandant ce qui va leur péter au visage et s’ils pourront divorcer les époux KRAMER d’accord sur tout avant que l’un des deux ne tue l’autre.
La quatrième convention est signée d’une main tremblante par les quatre protagonistes qui sont tout doucement en train d’envisager la possibilité que l’Univers tout entier, les Puissances Divines qui nous gouvernent, les Anges et tous les Saints ne soient sans doute pas vraiment ok pour ce divorce.
C’est alors que le Notaire imperturbable retoque une troisième fois la copie, et oui bonne gens, vous n’avez pas mentionnés tous les prénoms des enfants, vous savez ces prénoms atroces et improbables qu’aucun tribunal ne s’est jamais soucié de reproduire à l’époque où les tribunaux divorçaient les gens, ces prénoms, va falloir les mettre à présent, ça vous fera un peu les pieds.
Nous en sommes là.
Une procédure jugée irrecevable devant le Tribunal par un magistrat amnésique ne sachant plus qu’au dix neuvième siècle on appelait les gens de sa sorte des « juges de paix », et trois requêtes conjointes de base retoquées successivement sur l’autel de la revenchardise notariale la plus mesquine
Et les époux KRAMER d’accord sur tout, qui ont fait tout bien et attendent juste leur papier pour poursuivre leur existence, doivent reprendre leur copie pour un cinquième round.
Quinze mois que ça dure…
On lâche rien.
Au secours !