Farouk passe la tondeuse sur ma nuque avec dextérité. J’aime cette façon qu’il a de donner à son petit salon sur le jardin national des airs de barbier stambouliote, sièges vintages, outils chromés comme on n’en fait plus et baumes à joues fleurant le musc et le santal.
Je le sens embarrassé. Il veut me confier quelque chose que sa pudeur lui interdit. Je ne suis pas son avocat mais son client et il doit faire en sorte que mon séjour sur son fauteuil se passe au mieux, en toute quiétude et sérénité, mais il ose, au moment où, peigné, tondu, rasé et calamistré de frais, je vais franchir la porte, me tendre cet arrêté préfectoral tombé dans sa vie comme un obus.
Retrait de la carte de séjour et reconduite à la frontière.
Je suis ébahi : je le pensais aussi français que moi depuis le temps qu’il me coiffe et que son salon fait partie du paysage local.
Son histoire est simple. Marié avec une française rencontrée on ne sait où, un enfant né à Paris, et quelques années après, la séparation et son cortège de malfaisances et de turpitudes au premier rang desquelles la mauvaise volonté de la mère à maintenir un lien entre l’enfant et son père, descendu entre temps dans le sud de la France où il a refait sa vie.
C’est là qu’il a passé son CAP de coiffure et monté son salon, bail commercial, extrait kbis, URSSAF, TVA, RSI et toutim, tout bien comme s’il était français et même mieux, si heureux d’être là, de vivre et de travailler sans bruit ni écarts.
C’était sans compter avec l’ex, qui, rompue aux méandres, aux règles et aux us et coutumes des préfectures, a préféré, à une interminable procédure devant le Juge aux Affaires Familiales auquel elle aurait dit tout le mal qu’elle pensait du malheureux géniteur, écrire une belle lettre de dénonciation dans le plus pur style années 40.
Monsieur le Préfet, Farouk vous a menti en disant qu’il élevait son fils, pour avoir sa carte de séjour. En réalité il ne le voit jamais.
Tant pis si c’est elle qui jette les lettres, les cadeaux, arrache le téléphone des mains de l’enfant, et construit patiemment autour du bambin une monstrueuse machine à effacer le père.
La belle lettre ordurière tombe entre les mains d’un fonctionnaire qui se frotte les mains : enfin on en tient un !
C’est vrai, ils sont frustrés les fonctionnaires préfectoraux, aux prises avec tous ces migrants pérégrinant insolemment sur le territoire français et contre lesquels on ne peut rien, ne connaissant ni leur nom ni leur prénom ni leur nationalité et encore moins leur domicile.
Celui-là, si honnête et travailleur, immatriculé, tamponné vacciné, traqué à la toque dans ses moindres habitudes, carte bleue, compte Facebook et cætera, ça ne va pas faire un pli il va repartir dans son pays.
Comment ça il n’a rien fait ?
Il n’entretient pas son gosse !
Comment ce n’est pas prouvé ?
C’est la mère qui l’écrit, une vraie française en plus celle-là !
J’ai donc tenté d’expliquer à l’implacable et inhumaine justice administrative que ce garçon vivait en France honnêtement, et que bien loin de se désintéresser de sa progéniture, il faisait tout son possible pour rentrer dans ses droits de père, ce que l’on aurait d’ailleurs su si, comme la Loi l’impose d’ailleurs, il avait été invité à s’expliquer avant que l’arrêté portant retrait de la carte de séjour ne soit pris (mais bon, a priori ils avaient préféré prendre l’arrêté en prenant la dénonciation pour argent comptant, longue tradition préfectorale française peut être ? ).
Dans son grand souci d’équité, et de respect des droits de la défense, le tribunal administratif m’a avisé le 25 juillet au soir de l’audience fixée au lendemain à 13h45.
En attendant, Farouk manie sa tondeuse, les produits chauffés par le soleil estival embaument sur le jardin.
Il fait beau sur le territoire français.