Lorsque je me suis retrouvé voici bientôt trois décennies, tremblant, devant l’effrayant aréopage des six succubes (deux magistrats, deux avocats et deux professeurs d’université) composant le Jury du Grand Oral clôturant les épreuves de l’examen devant m’ouvrir les portes de la profession d’Avocat, un des Avocats, vieux Bâtonnier chenu, podagre et égrotant venu d’une ville dont Madame Dati a depuis supprimé le Tribunal – bien fait ! – me posa cette question fondamentale : « Finalement mon jeune ami, à quoi sert un Avocat ? » Déjà déviant de par mes lectures impures au rang desquelles VERGES prenait largement le pas sur DAMIENS je me crus autorisé à répondre en paraphrasant « Défendre, défendre et encore défendre » ce qui amena mon cacochyme confrère au bord de l’A.V.C. « Vous n’avez rien compris à cette profession me cracha-t-il, l ’Avocat n’est présent que pour contribuer à la manifestation de la Vérité ». Ayant proféré cette immense connerie il me darda de ses yeux en forme de glave de tubard où je lus que si jamais j’avais mon diplôme, il n’y serait pour rien.
Je fus tout de même reçu, et deuxième de ma promotion.
Vingt-cinq ans plus tard, je constate avec consternation que les Elèves Avocats reçoivent toujours cet enseignement hypocrite consistant à tenter de leur faire penser que l’Avocat n’aurait d’autre vocation que de contribuer à la manifestation de la vérité « sous peine de perdre son âme » ajout l’ineffable DAMIENS auteur d’une somme sur la déontologie de l’Avocat qui fait encore –malheureusement – autorité : Auxiliaire de Justice, l’Avocat ne serait là que pour aider le Magistrat à trouver la vérité.
Je sais parfaitement que le fantasme de tout pouvoir fut il le plus démocratique qui soit, est que les cabinets d’Avocats cessent d’être ces inexpugnables confessionnaux dont rien ne sort jamais, mais de simples officines de renseignements.
Désolé, pardon mille fois, mais l’Avocat doit être et rester, sous peine de perdre plus que son âme, sa raison d’exister, simplement celui qui parle pour autrui, celui qui saura par ses connaissances juridiques et son art de la parole, convaincre un Tribunal de la justesse de la thèse de son client… quand bien même serait-elle archi fausse !
Confronté à ce que lui confie son client, l’Avocat ne doit se poser qu’une seule et unique question : Est-ce plaidable et surtout pas est-ce vrai ou faux ce dont il se contrefout n’étant ni censeur ni curé et encore moins juge.
Il appartient au Magistrat, et à lui seul, de faire la Vérité « judiciaire », la Vérité Vraie étant un concept philosophique de l’ordre de l’impossible…
Le pire est que toutes ces thèses bien pensantes sont corroborées par cette notion d’auxiliaire de justice qui finalement ne concours qu’à nous pousser encore à « collaborer » au sens le plus nauséabond du terme avec une autorité judiciaire qui n’aspire qu’à nous instrumentaliser mais jamais à nous respecter.
Coup sur coup en cette période estivale deux exemples de la manière dont on traite les « auxiliaires de justice »
Je défends un pauvre diable de nationalité géorgienne mis en examen et naturellement incarcéré à titre tant provisoire qu’exceptionnel – oui oui mes lecteurs savent à quel point c’est exceptionnel !! – car impliqué dans une série de vols dont il dénie farouchement y avoir participé.
Ma dernière demande de mise en liberté provisoire –pourtant copieusement argumentée- est rejetée au motif pris que « des investigations sont encore à faire dans le cadre de l’instruction ». Or exactement onze jours après et sans qu’aucune investigation de quelque nature que ce soit n’ait été faite, le Magistrat Instructeur clôture son instruction, le pauvre diable susdit étant maintenu en détention, cette fois parce que sa pauvreté ne peut que le conduire à voler.
Personnellement, j’appelle ça du foutage de gueule mais peut être suis je mal embouché ?!
Mardi 14 Aout, 14h00, dans l’infernale chaleur du sud-ouest, le greffe de l’instruction me téléphone désespéré –je dois être le seul avocat présent à son cabinet – pour que j’assiste une personne qui doit comparaitre devant le Magistrat Instructeur.
Je suis seul au cabinet et une après-midi de rendez-vous m’attend. J’accepte tout de même de venir dans la mesure où l’on me préviendra lorsque le juge sera prêt et que l’audition se fera avant les autres afin que je sois de retour à mon cabinet avant mes rendez-vous. Quelques minutes après coup de fil du greffe qui me demande de venir de suite, ca y est, c’est prêt, on passe. Prenant toujours mon rôle d’auxiliaire de justice très à cœur je file au Tribunal et constate alors que le Magistrat a décidé de prendre une audition promettant d’être longue avant la mienne et que je dois attendre … quelques heures peut être…
Je l’avoue, mon mauvais caractère a pris le dessus et je suis reparti m’occuper de mes clients, laissant l’Administration de la Justice gérer les conséquences de la perpétuelle pusillanimité dont elle fait preuve vis-à-vis de ceux dont elle se gargarise du qualificatif d’Auxiliaire de Justice.
Alors auxiliaire, auxiliaire ? Ai-je une tête d’Auxiliaire ?!
Que non point, et moins que jamais !
Juste celui qui parle pour ceux qui ne peuvent pas le faire eux mêmes … juste un défenseur, mais entièrement cela.