Modeste hommage à un grand Avocat qui, comme l’écrivait le journal Libération le 16 Aout 2013 avec son art consommé pour les nécrologies, « disparait de nouveau ».
Lorsque de sa sonnerie sans âme, mon iPhone a commencé à tilter des alertes de la mort de Jacques Verges, j’ai ressenti cette incompréhension et ce refus qui nous prend dans le ventre confronté à la mort d’un proche que l’on a chéri.
25 ans de barre et 25 ans à me référer à l’art de cet Avocat si décrié, aimé et haï, qui voulait faire de sa vie un roman, et son roman un bestseller, 25 ans à croire qu’un modèle ne meurt jamais, et puis si, finalement même les archétypes disparaissent, peut-être pour mieux inspirer ceux qui viennent…
Je dois avouer qu’à l’occasion de sa mort, j’ai été atterré par cette imbécile et éternelle rancœur des masses pour quelque chose qu’elles n’ont jamais cherché à comprendre, et je veux parler de ce qu’est profondément, tripalement, ontologiquement un Avocat, je veux dire un Avocat digne de la robe qu’il porte et pas un petit sergent mort de trouille aux ordres de tout un chacun comme le deviennent inexorablement nos porteurs de robes modernes.
Qu’avons-nous lu dans la presse ?
Au mieux la rengaine de « l’avocat de l\’indéfendable et des causes perdues » … au fait, je voudrais bien que l’on me présente un Avocat qui aurait la triste prétention d’être celui des causes gagnées …
Au pire, les saintes imprécations des avocats juifs, par exemple Serge Karsfeld qui avait à l’époque du procès Barbie, clamé « Barbie est un tueur de Juifs, Vergès défend les tueurs de Juifs » et qui, au soir de la mort de son vieil ennemi, toujours rongé d’un ressentiment que l’on pourra qualifier d’imprescriptible, rabâche à l’AFP « J\’ai dit suffisamment mon hostilité à Jacques Vergès de son vivant et je m\’abstiendrai de parler au moment de sa mort » …
Trente ans après le procès Barbie, il faudrait encore argumenter, expliquer et convaincre ?
Il faudrait encore s’épuiser à faire entrevoir au bon peuple qui fait tout bien, qui ne se trompe jamais et qui ne sait même pas ce que c’est que de trébucher, que le jour où l’on se trouve dans la main de fer de la justice, criminel de guerre ou voleur de pommes, il faut qu’un Avocat se lève, libre de toute pression, contingences, morale, bonnes mœurs ou sens commun pour dire, expliquer, parler, pour celui qui ne le peut pas ou ne le sait pas ?
Il faut encore et encore dire que l’Avocat est un anarchiste qui pourfend les idées reçues, fait fi des diktats, méprise la doxa, et conspue les bien-pensants ?
Peut-être dois-je simplement retranscrire ici une anecdote :
Quelques semaines à peine après le procès Barbie, s’ouvrait à la Cour d’Assises du Tarn le procès d’un parachutiste ayant participé à ce que l’on nommait à cette époque une « ratonnade » à l’issue de laquelle un homme avait été tué.
Surprise, Jacques Verges était dans cette affaire provinciale … pour le para raciste bien sûr ? Erreur, Maitre Verges était partie civile pour le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l\’amitié entre les peuples) !
Dans une ambiance électrique, où les injures avaient volé bas durant les journées d’audience difficiles où s’affrontaient deux communautés et deux traditions si éloignées les unes des autres, Jacques Verges s’était levé et avait plaidé, avec cette distance faite de raideur et de précision toute asiatique, et les premiers mots de sa plaidoirie sont restés gravés dans ma mémoire « Je ne plaide pas pour les arabes et contre l’armée, je plaide pour le respect de la dignité humaine contre la barbarie.. »
Sans doute Jacques Verges a t-il été trop souvent juste « un immense acteur qui s\’est servi de sa robe d\’avocat pour illustrer les rôles qu\’il s\’était lui-même distribués » comme l’a dit ironiquement notre confrère Klugman, mais il est vrai que lui, Verges, savait que l’erreur et la chute sont dans la nature de l’homme, et que l’humanité ne trouvera jamais sa rédemption en crachant à la gueule de celui qui a fauté.
Chapeau l’artiste, et merci Maitre.