L’idée est excellente songeais-je (avec Brassens) en dégustant quelques mezzés.
L’espace d\’un instant les berges noires du fleuve et les briques roses s’effaçaient pour les remparts de Jericho, tandis que j’entendais à côté de moi quelques palestiniens prêts peut être à mourir pour libérer leur malheureuse nation fragmentée dans le sein d’acier de l’autre nation sœur qui occupe les mêmes pierres sous le même ciel.
Et ici aussi on peut mourir pour des idées …. des salamandres, quelques roseaux, un projet de barrage, et un état sourd muet et aveugle …
J’ai lu hier que c\’était le comble de l’idiotie de mourir pour des idées à 21 ans…je ne sais si c’est vrai, mais le dire est au moins le comble de l\’indécence.
Jankélévitch écrivait que la mort est inénarrable. Elle est en tout cas écrite dans notre condition et ce qui est écrit ne peut pas être «idiot» au sens étymologique de «dépourvu de sens».
L’indécrottable aquaboniste que je suis, réticent au bulletin de vote et aux cartes de tous ordres, ignorant des thèses et des idéologies «toutes entre elles ressemblantes» comme l’écrivait Brassens –encore lui–, ne peut qu’être interpellé et surtout définitivement admiratif devant celui qui sait, tripalement, et au mépris de toute doxa, que ce barrage ne doit pas être construit, et qui est prêt à tout pour cela.
Notre histoire depuis le «dieu le veut» des croisés ne s\’est-elle pas presque entièrement construite sur la résistance de quelques-uns aux diktats du plus grand nombre?
Finalement ne pourrait-on pas dire que ce ne sont pas les Etats, leurs œuvres et leurs pompes qui ont le plus durablement travaillé pour le bonheur des Hommes, mais plutôt quelques cinglés dans leur coin, un inconnu devant un char à Pékin, immobile comme une colonne d’airain devant l’oppression, un jeune avocat en Inde, futur guide spirituel de tout un peuple, un Général réfugié en Angleterre, et tous les anonymes qui, ayant eu raison avant les autres, l’ont parfois payé de leur vie.
Et aussi tous les autres, tués sur l’autel de la pensée unique et des bien-pensants parce qu’ils ne voulaient simplement pas s’engager, ce qui constitue finalement le premier des engagements, celui de pouvoir dire: «Non, pas pour moi».
Mourir pour des idées dans une période de guerre civile ou de guerre étrangère est définitivement très triste, mais mourir pour des idées dans un pays riche et en paix est juste une aberration de l’esprit.
C’est pourtant très exactement ce qui s’est passé.
Peut-être serait on alors déjà dans un pays en guerre civile?
Pendant ce temps, les salamandres et les roseaux de SIVENS attendent les pelleteuses et le béton, ou bien peut être d’autres morts, d’autres souffrances…