Nous étions le 30 septembre 2023…
Ce matin le trajet n\’en finissait pas et l’autoroute bondée prenait parfois des allures de chemin vicinal, l’herbe entre les pavés en moins.
Enfin, au loin, la ville, et très vite les dômes argentés de la cité judiciaire se dressaient fièrement dans la brume matinale.
Je savais bien que j\’aurais eu meilleur compte à déménager en même temps que mon Tribunal lorsque la loi Taubira «Concentration Efficacité Liberté» avait été promulguée en 2016, supprimant tous les petits Tribunaux pour concentrer la justice dans les pôles régionaux, mais même si le Tarn était devenu un désert judiciaire je ne m’étais pas résolu à en partir.
Et puis j’aimais bien parfois, le samedi, devant un café noir, presque comme avant, écouter quelques personnes venir, en toute liberté, sécurité et confidentialité, me confier leurs problèmes et m’interroger sur les solutions possibles pour les régler… Cela me permettait de ne pas oublier, et ajoutait du beurre dans les épinards, le ministre de la Justice payant chichement les Avocats publics (oui c’était là notre nouvelle appellation à mi chemin entre Fouquier-Tinville et l’URSS …)
J’ai toujours été indiscipliné. C’est malgré moi ma marque de fabrique, et ces entretiens informels – et prohibés » au café, ce travail d\’écrivain public me rapprochaient de mes racines: cette noble belle et très ancienne profession assassinée par les technocrates et les idéologues …
En méditant ainsi j’arrivais au pôle et gagnais dans le sous-sol 23, les box où les avocats publics, désignés par le procurateur après examen préalable de faisabilité du procès, commençaient leur journée en recevant les plaideurs préautorisés à entamer leur procédure.
Mon premier rendez vous s’est mal passé.
Le type avait menti au procurateur sur l’objet de son procès pour pouvoir avoir accès à un avocat et son soi-disant litige avec un de ses fournisseurs était devenu lorsqu’il s’est retrouvé face à moi, une demande d’introduction de procédure contre l’URSSAF et le RSI qui, comme d’habitude (et ça, ça n’avait jamais changé), étaient en train de le conduire à la ruine.
Naturellement, les entretiens étant tous filmés et enregistrés, à peine avait-il exposé la vraie nature de ses problèmes que les gardes entraient et l’éjectaient après lui avoir notifié une convocation en correctionnelle pour outrage à agent de l\’Etat (ce que les avocats étaient devenus en 2019) et là, il n’aurait pas droit à être assisté, les avocats ayant été écartés des procès pénaux comme entravant la manifestation de la vérité.
Je l’ai vaguement regardé se faire embarquer… De toutes les façons je n’aurais pas pu faire le procès, mon superviseur ne me donne aucun moyen dès qu’il s’agit d’assigner l’Etat ….
Il parait que les anciens avocats exerçaient librement leur profession, ne racontaient jamais les secrets que leur confiaient leurs clients, et étaient prêts à se battre pour eux quel que soit l’adversaire car ils ne dépendaient de personne…. incroyable non?
Un pale soleil descendait à travers la verrière du bloc 23.
J’aperçus dans l’azur le Falcon 3000 de la Compagnie EDGE ZUHAN ORINOFF and Associates qui devait sans doute emporter leur 8.000e collaborateur venu de leur siège de SHANGAI plaider une affaire pour quelque entreprise du CAC 40 ou quelque Tycoon asiatique. Quinze cabinets d’Avocats internationaux avaient réussi à faire plier les gouvernements et bénéficiaient de règles de procédure spéciales qui les exonéraient de la pré-autorisation de plaider et leur permettait d’exercer leur profession en dehors des box spécialement aménagés dans les tribunaux.
Nous étions le 30 septembre 2023.