Dans un arrêt du 23 Novembre 2017, la Cour d’appel de Versailles énonce : « À titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du Code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les ‘dire et juger’ et les ‘constater’ ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi- ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués ».
Dans un arrêt du 15 janvier 2019 la Cour d’appel de Bordeaux rappelle à son tour que « les diverses demandes (…) de ‘dire et juger que’ (…) ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions ».
Les Cours d’Appel de LYON et de BORDEAUX se sont elles aussi aventurées dans ce débat sémantique d’une haute importance semble-t-il, rappelant de manière plus ou moins acide aux avocats comment il ne faut pas écrire, et implicitement mais nécessairement à quel point ils écrivent mal !
Il est un fait acquis : lentement et au fil des réformes de simplification de la justice (on a envie d’ajouter « lol ») la Loi a encadré de plus en plus strictement les velléités créatrices des avocats, imposant des règles de rédaction d’actes, comme par exemple l’alinéa 2 de l’article 954 du Code de procédure civile qui édicte pour les procédures en appel : « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions » (et l’article 753 du Code de procédure civile prévoit exactement les mêmes règles devant les tribunaux).
Ce dernier avatar fait suite à une longue suite de brimades, dictats et doxas divers imposés par nombre de tribunaux qui ont joyeusement suivi le mouvement législatif en imposant des règles strictes d’organisation des dossiers allant bien au-delà des prescriptions de la Loi, certains exigeant des cotes de plaidoiries, d’autres les interdisant avec la même force, certains souhaitant que les pièces justificatives soient dans l’ordre du bordereau de communication de pièces, quand d’autres exigent qu’elles soient dans l’ordre des conclusions.
Un tel mouvement a été accentué avec l’irruption dans le monde judiciaire de la communication électronique, diversement appliquée par les Tribunaux selon un délicieux cahier des habitudes que les avocats sont censés connaitre sous peine de mort subite.
C’est ainsi qu’à ALBI (comme dans la plupart des juridictions d’ailleurs) les demandes de copies pénales se font par la voie électronique par le réseau privé virtuel des avocats (l’immonde acronymesque RPVA).
Ayant une affaire pénale à CASTRES, mon secrétariat forme la demande de copie de pièces par ce biais, mais elle reste lettre morte en sorte que je suis contraint de demander le renvoi qui m’est vertement refusé par une Présidente totalement hors sol au terme d’un débat assez surréaliste :
Présidente : Vous nous reprochez de ne pas vous avoir donné les pièces mais les aviez-vous demandées
Avocat : Oui par RPVA
Présidente : Il fallait le faire par fax
Avocat : A ALBI (et partout en France) on le fait par RPVA
Présidente : ALBI n’est pas le centre du monde
Avocat : CASTRES non plus Madame
Dossier retenu.
Présidente 1 Avocat 0 !
Alors voilà qu’aujourd’hui, le dispositif récapitulant les prétentions sur lesquelles se prononcera la juridiction, est passé au laminoir des exégétiques juridictions citées supra qui nous enseignent, mauvais élèves que nous sommes, que nous devons éviter l’emploi de formules aventureuses telles que « dire et juger », « constater », « dire que », ou « donner acte ».
Trop compliqué.
Nous vivons l’ère du fantasme de la simplification, c’est-à-dire du nivellement par le bas.
Les adages latins (toujours applicables au demeurant) : traduits en français moyen tellement plus peuple.
Les célèbres « attendus » démarrant depuis des siècles tous les paragraphes comportant un moyen nouveau : brulés sur l’autel de la querelle des anciens et des modernes.
A quand un nombre de pages imposé ? !
Et tous ces mots que nous utilisions, quand va-t-on limiter leur nombre pour plus de clarté ?
C’est loin d’être une crainte virtuelle à l’heure où les professions de foi de certains candidats aux élections municipale sont rédigées – attention accrochez-vous aux wagons ! – en « FALC », ce qui veut dire « Facile à Lire et à Comprendre », et qui est une odieuse technique transformant un texte écrit en bon français en sabir pour élève de cours élémentaire, le machin étant censé être crée pour les personnes déficientes, les handicapés et les personnes ayant des difficultés à lire ou à écrire qui semblent être devenus une composante majeure de la population la nécessité de les doter d\’un langage étant apparue nécessaire !
Alors finalement, dans la mesure ou l\’on n\’a plus le droit de demander aux juges de juger – alors qu’ils sont là pour cela ou l\’on m’aurait menti ? – comment diantre faut il leur parler ? !
A l’heure où (encore dans un but de simplification probablement !), les termes « tribunal de grande instance » et « tribunal d’instance » sont remplacés par le redondant et pléonastique « tribunal judiciaire », sans doute va-t-on devoir remplacer tous ces mots inutiles et compliqués par des formules tout à la fois plus simples et brutales comme par exemple pour une demande en résolution de vente de véhicule pour vice cachés : « toi rendre à moi l’argent de la voiture » ?
Soupir.